9/10/2010

Le père Bernard Hym : «Le Père Laval: pas un homme de sacristie, mais de proximité»


Le père Bernard Hym, directeur du pèlerinage auprès du Père Laval, continue à sa manière l’œuvre du grand saint qui consiste à aider les gens à se prendre en main. «Je n’arrive pas aussi bien que lui, mais c’est un challenge perpétuel.» Rencontre.

Le thème du pèlerinage Père-Laval cette année: «Per Laval dir: Zezi finn fer so travay, anou fer nou par». Comment est-ce que ce thème nous parle aujourd’hui?

À l’époque du Père Laval tout était à faire. Les gens étaient baptisés mais pas évangélisés. La première mission du Père Laval a été de leur donner la possibilité de rencontrer Jésus et de continuer son œuvre. Les auxiliaires laïcs, tout juste sortis de l’esclavage et que le Père Laval avait pris autour de lui, étaient des gens tout simples.
Après les avoir formés, ces derniers bouillonnaient de joie et avaient le désir ardent de partager l’Evangile aux autres. Comme le Christ avait besoin de ses apôtres, du Père Laval, des auxiliaires du Père Laval, Il a aussi besoin de nous aujourd’hui. Je suis convaincu que le Père Laval nous oblige à nous réveiller aujourd’hui.

Qui sont ces auxiliaires laïcs du Père Laval? Quels ont été leurs rôles?

Les auxiliaires du Père Laval étaient des persévérants, des gens que le Père Laval avait préparés au mariage. Qui avaient continué à vivre leur vie chrétienne. Des gens que le Père Laval avait préparés à la Première Communion, avait formés et avait pris comme parrains et marraines pour les nouveaux baptisés. Ils étaient devenus des soutiens.
Emilien Pierre, qui habitait à Trou-Fanfaron, a été un des auxiliaires laïcs du Père Laval. A coté de chez lui, il y avait un camp de regroupements de négriers récupérés d’un bateau. Ces derniers, qui faisaient des travaux d’utilités publiques, vivaient encore une forme d’esclavage. Voyant leur misère humaine, physique et spirituelle, Emilien Pierre les avait visités, catéchisés et préparés au baptême. Il n’avait pas les moyens matériels pour les libérer, mais il s’était intéressé à eux en leur proposant l’Evangile.
Outre d’être des baptisés, ils allaient intégrer la société mauricienne, gagner des points de repères, tisser des relations, avoir un travail sur lequel ils pouvaient dépendre. Finalement, ils étaient devenus des gens responsables. Ils avaient retrouvé la dignité humaine.

Que sont devenus ces auxiliaires laïcs du Père Laval par la suite?

On ne sait pas où ils ont été enterrés – même pas Emilien Pierre. Parmi, certains sont devenus peut être des saints qu’on a oubliés.

Peut-on encore trouver des gens qui ont le visage de ces auxiliaires laïcs du Père Laval aujourd’hui?

Ceux qui travaillent avec les drogués et les alcooliques au Centre d’Accueil de Terre-Rouge, à Lacaz A.
Ceux qui font le catéchisme, animent le Service d’Ecoute et de Développement (SEED), l’alphabétisation, le soutien scolaire.
Ceux qui travaillent pour trouver un logement pour tous, qui aident les gens à retourner à la terre afin de se nourrir et de nourrir leur famille. Ces gens-là ont le profil des auxiliaires laïcs du Père Laval. A travers eux, l’œuvre du Père Laval perdure.

Les pauvres avaient une grande place dans la vie du Père Laval. Qui sont les pauvres aujourd’hui?

Il y a tellement de pauvretés qu’il est temps de les regarder en face pour trouver des solutions adaptées. Il y a la pauvreté matérielle, éducationnelle. Il y a les défaitistes convaincus qu’ils ont déjà tout perdu d’avance. Il y a la pauvreté relationnelle: à l’intérieur des couples, des familles.
On ne sait plus comment dialoguer, comment gérer les conflits, comment aider les alcooliques, les drogués, les prostitués. Pour aider ces pauvres à se remettre debout, on a besoin des gens qui donnent non seulement leur argent, mais aussi et surtout leur temps. En d’autres mots des gens qui se donnent. Là, il y a une mentalité à changer.

C’est un peu le message que le Père Laval nous adresse aujourd’hui?

Notre monde n’est pas encore prêt à ce travail. Il y en a très peu qui répondent à ces appels qui consistent à aider les gens à sortir de leur pauvreté et à se prendre en main. Il y a quelque chose à faire dans ce sens.

Comment le Père Laval peut encore être un guide pour nous aujourd’hui?

En regardant le nombre de pèlerins qui défilent au caveau du Père Laval, on comprend que le saint homme a une place privilégiée dans le cœur des gens.
A l’époque il n’y avait presque pas de prêtres. Aucun ne s’intéressait ou n’était capable de s’occuper de la communauté noire.
Dès qu’il y a eu assez de prêtres, les auxiliaires laïcs du Père Laval n’avaient plus leur place. On est revenu au cléricalisme.
Aujourd’hui, on prétend qu’on a besoin des laïcs par manque de prêtres. Or, depuis le Concile Vatican II, on nous demande, au nom de notre baptême, de prendre l’Evangile en main. Le baptême est la source de la mission. Au nom de leur baptême, prêtres et laïcs ont chacun un rôle spécifique.

Le Père Laval a compris cela très tôt?

Le Père Laval a été un prophète en son temps. D’une part, il savait qu’il allait être seul et avait ainsi formé des laïcs. D’autre part, parce qu’il était rempli de la présence du Christ, il pouvait voir et sentir la joie des gens par rapport à l’émerveillement de la découverte de l’Evangile. Il pouvait même percevoir leur désir de le partager. Après les avoir formés, il mettait en place une structure pour que cet Evangile, qui se vivait, puisse aussi être partagé.
Rappelons que le monde à l’époque était délétère: la communauté blanche n’était pas un exemple; les Noirs n’avaient aucune formation; le monde anglais était perçu comme celui dont il fallait se méfier. Il n’était pas question d’œcuménisme, mais de concurrence.

Qu’apprend-t-on à l’école du Père Laval?

Le Père Laval avait accepté de partir d’une réalité et non d’un rêve. Il nous apprend l’humilité. A être quelqu’un au service des autres, avec les talents reçus du Seigneur. Le Père Laval avait puisé cet impérieux besoin de se donner aux autres dans une prière constante. Il priait dès qu’il n’était pas en service. D’ailleurs, dès que les gens se tournaient vers lui, il les dirigeait vers la croix.

Justement, le Père Laval n’avait que deux photos: une assis avec la croix sur le cœur et l’autre, debout montrant la croix. La croix avait-elle une place importante dans sa vie?
La croix était au centre de la vie du Père Laval. Quand il fait son bagage pour l’île Maurice, il y met sa croix et son bréviaire. Historiquement, il ne faut pas oublier que l’époque du Père Laval était très doloriste. D’ailleurs, un des disciples d’Emilien Pierre avait médité chaque jour la passion du Christ pendant douze ans.

Où peut-on encore trouver la croix du Père Laval?

La croix du Père Laval est fixée sur le calvaire en pierre à Notre-Dame-de-La-Délivrande, Montagne Longue. Après sa mort, ses confrères organisaient des pèlerinages en ce lieu.

Revenons au pèlerinage. Qu’avez-vous prévu pour qu’il soit une démarche de foi et non religieuse?

J’ai personnellement envoyé un dossier à chaque paroisse pour que les fidèles se préparent spirituellement. J’ai moi-même médité les textes qui vont être utilisés. J’ai donné quelques éléments de la vie du Père Laval en lien avec la Lettre Pastorale de l’évêque.
Le ‘kit’ contient aussi un quiz qui permet de jouer, tout en découvrant la vie du grand saint. Tout cela a été mis sur le site du diocèse à l’intention des fidèles. La démarche peut être collective ou personnelle.
Mais, la préparation revient à chaque pèlerin. Chacun doit se poser la question: qu’est-ce que je viens faire à ce pèlerinage?

Le Père Laval passait huit heures par jour à confesser les pauvres. De même, dans la nuit du 8 au 9 septembre, il y a beaucoup de confessions. Doit-on comprendre que le sacrement de réconciliation est vital dans la vie d’un chrétien?

De nos jours, les prêtres sont de moins en moins disponibles pour confesser. Les fidèles de moins en moins à demander la confession. Nous avons perdu le sens du péché. Le pèlerinage peut être une occasion de redécouvrir le sens du péché qui est non seulement une erreur qui se paie, mais un amour qui a été lésé.
Le sacrement de la réconciliation est un chemin pour reconstruire notre relation avec Dieu et reconnaître, par la même occasion, que c’est notre relation avec les autres qui est en jeu. La présence perpétuelle du Père Laval dans le confessionnal aidait les gens à vivre une véritable dimension spirituelle.

En voyant le nombre de chapelles que le Père Laval a fait construire, on sent qu’il avait le désir de construire des communautés de base à travers l’île.

Le Père Laval n’avait pas fait construire de chapelles. C’étaient les fidèles qui éprouvaient le désir de construire un lieu de culte pour se rassembler.
Ces derniers se réunissaient d’abord dans une chambre, ensuite dans une varangue, dans une paillotte convertie enfin en une petite chapelle. Beaucoup sont devenues des églises paroissiales par la suite.
Cependant, l’eglise Saint-Sauveur à Bambous est le lieu de culte que le Père Laval avait fait construire. Les gens de Camp Mapou et d’Henrietta descendaient, à pied et à jeun, chaque dimanche à partir de 3h, 4h, 5h du matin pour être à la messe de midi. Messe qui allait être célébrée par le Père Laval. Voyant cette procession dominicale, les gens de Bambous s’étaient aussi mis en route.

Le Père Laval passait beaucoup de son temps à confesser, à catéchiser. Il ne s’est pas beaucoup préoccupé pour améliorer le système oppressif d’alors, disent ses détracteurs…

On ne peut demander au Père Laval d’être ce qu’il ne l’était pas. Dans ce cas, au temps du choléra, on aurait pu lui demander d’exercer comme médecin. Or, sa mission était de donner le sacrement de malades aux cholériques malgré qu’il utilisait ses connaissances médicales à leur disposition.
Est-ce que le système a changé aujourd’hui? Va-t-on demander à l’Eglise de prendre la responsabilité de l’Etat? La mission de l’Eglise est de former de bons chrétiens qui, par la suite, peuvent prendre leur responsabilité dans le pays. L’Eglise n’a pas cette prétention de faire le travail de l’Etat.

Qu’est-ce qui provoque selon vous cette grande ferveur autour du Père Laval. Est-ce parce qu’il a été médecin avant d’être prêtre que les fidèles cherchent la guérison auprès de lui?

Dès son arrivée à Maurice, le Père Laval a été un prêtre pour tous – les Noirs comme les Blancs. Il n’était pas un homme de la sacristie, mais un homme de proximité. Ce qui lui a permis de tisser de solides liens.
A sa mort, 40 000 personnes accompagnaient son cercueil, alors qu’à son arrivée personne ne l’a accompagné de Trou Fanfaron à la Cathédrale.
Le Père Laval a su marquer. Il a touché les Noirs comme les Blancs. Il est mort avec une réputation de sainteté. Une jeune fille a été guérie le jour de ses funérailles à la Cathédrale.
Venir au Père Laval est source de paix et de réconfort pour beaucoup. Plusieurs sont convaincus d’avoir obtenu une grâce du Seigneur grâce au Père Laval.
Remplis de gratitude, ils n’arrêtent pas d’affluer à son caveau. Et cela, en permanence. Cela démontre que l’œuvre du Père Laval perdure.

Quel est le nombre de pèlerins à Sainte-Croix?

Une moyenne de 10 000 par semaine. Dans les 48 heures du pèlerinage et le week-end qui suit, on peut compter au moins 75 000 pèlerins.

Sandra Potié, La Vie Catholique

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