9/24/2007

Mgr Amédée Nagapen : « Le Père Laval : bienheureux ou agent politique des colons ? »

Ces dernières semaines, de nombreux catholiques ont été surpris d'entendre des historiens affirmer que le Père Laval n'a pas été l'Apôtre des Noirs, mais plutôt un agent politique des colons. «La Vie Catholique» a rencontre Mgr Amédée Nagapen, historien, pour en savoir plus.

D'où vient cette thèse que le Père Laval s'est placé du côté des colons contre les anciens esclaves ?

Il faut savoir que cette idée vient d'une thèse de doctorat de Didier Colson. Cet historien reconnaît la sainteté du missionnaire Jacques Désiré Laval, «homme de prière, ascète, humble, désintéressé, aimant». Quand Laval débarque à l'île Maurice en 1841, il rencontre une masse d'anciens esclaves émancipés deux ans plus tôt et dont les cœurs trépignaient de rancœurs, sinon de haine. Cette classe de Noirs entretenait tous les ingrédients capables d'exploser en révolte. Toutefois, de révolte il n'y en eut point. Parce que le Père Laval est venu opérer une révolution, une révolution des esprits et des cœurs. L'Evangile de Jésus-Christ, dont il venait abreuver ces milliers d'affranchis, leur fit prendre conscience de leur dignité d'hommes et de femmes debout, de fils et de filles de Dieu.

Pourquoi l'accuse-t-on alors d'avoir été au service du pouvoir des colons ?

La thèse de Didier Colson se situe à un niveau politique et sociologique ­ démarche et méthodologie que je conteste.
Il faut savoir que les Blancs d'origine française se sont retrouvés fragilisés avec l'abolition de l'esclavage et l'introduction des «engagés» de l'Inde, surtout face au pouvoir britannique. Et ils ont alors eu recours au catholicisme. Et l'arrivée de Laval tombe à point nommé dans la colonie. Pour ces colons, c'est «Mobilisons les catholiques !» Et Colson tente de montrer que l'Eglise a favorisé les Mauriciens français. D'où l'orientation qu'il donne à l'action du Père Laval. Colson avance que Laval a conduit les Noirs opprimés vers leurs maîtres grâce à une même foi, ce qui firent des anciens esclaves de bons serviteurs.

Colson s'est donc trompé ?

Colson veut démontrer, maladroitement, que le Père Laval n'a été que le suppôt des Blancs. Ce réquisitoire anti-Laval entre dans le courant de pensée cher aux intellectuels de la seconde moitié du XXe siècle voulant que l'homme opprimé ne se libérait de sa condition qu'en se révoltant. Colson reproche au Père Laval son inertie sur le plan politique. Il estime que «la dignité que le Père Laval reconnut aux Noirs, comme aux opprimes en général, aurait dû, pour être complète ; aller jusqu'au droit de leur spécificité personnelle et politique dans la Cité».
Pour Colson, le missionnaire était incapable d'imaginer la question sociale. Il estime que le Père Laval, en moralisant les Noirs, «leur donna la dernière [place], celle que souhaitaient pour eux leurs anciens maîtres, les colons, apeurés de la revanche, des contrecoups de la liberté devenue folle».
L'auteur, au lieu de parler de «libération effective», l'émancipation ayant déjà eu lieu, il conviendrait plutôt de parler de «compromis», le «respect de l'ordre établi demeurant fondamental» pour l'Apôtre des Noirs.

Qu'est-ce qui nous permet de dire que le Père Laval a été proche des Noirs ?

C'est une évidence confirmée par des faits historiques. Des documents de l'époque parlent de «paroisse de 80 000 Noirs du Père Laval.» Les exemples abondent de la pastorale spiritaine de l'époque tant à Port-Louis qu'à la campagne. Sont aussi des faits avérés: les 75 catéchistes, les conseilleuses et le catéchisme en créole ainsi que son apostolat à la cathédrale en créole. Ou encore l'accueil dans son cagibi et son apostolat à la sacristie et la messe des Noirs le dimanche à midi. Il a construit une dizaine de chapelles à Port-Louis et ses environs. Et il y a des centaines de témoignages d'affection dans de nombreux documents de l'époque.

Colson s'est donc trompé ?

Il s'est trompé de siècle et de personnage ! S'il avait construit son argumentaire autour de Pierre Poivre, il aurait eu 100% raison. Poivre avait demandé aux maîtres de bien traiter leurs esclaves, car «des esclaves bien traités serviront toujours bien leurs maîtres».

La Vie Catholique

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