9/03/2015

Père Laval, créoliste avant la lettre


Il est dommage que le Père Laval n’ait pas connu l’abbé Déroulède, décédé avant son arrivée en 1842. L’abbé Déroulède a été le premier prêtre catholique mauricien et il évangélisait les esclaves en kreol. Cependant, comme l’indique le conférencier Vinesh Hookoomsing lors du colloque commémorant les 150 ans de la mort du Père Laval, ce dernier a été un créoliste avant la lettre. En effet, il a été à l’origine du premier catéchisme en Kreol, le « Petit catéchisme des Noirs ».
Par ailleurs, Jimmy Harmon, doctorant, prend à contre-pied l’abbé Didier Colson (thèse de doctorat) et ceux qui avancent que le Père Laval a été instrumentalisé par les colons. Didier Colson déplore que l’action du Père Laval n’ait pas permis la transformation sociale des esclaves affranchis. Mais pour Jimmy Harmon l’action du Père Laval et de ses auxiliaires a été déterminante. « Noir avec les noirs », adoptant le style de vie des affranchis. Jimmy Harmon nous réfère au livre de l’historien réunionnais Prosper Eve sur le Père Levavasseur « qui projette une lumière nouvelle » sur le rôle des missionnaires dans le sud-ouest de l’océan Indien et qui insiste sur l’immersion du Père Laval dans la vie des plus pauvres. Ce qui amène Jimmy Harmon à dire que les créoles doivent s’approprier l’héritage et la double identité du Père Laval, « icône des Afrokreol » et tout aussi l’apôtre de tous les Mauriciens. Le Père Laval trouve le même écho chez Danielle Palmyre, théologienne, pour qui le Père Laval a joué « un rôle déterminant dans la construction identitaire des affranchis et de leurs descendants ». Et Mgr.Maurice Piat de faire ressortir que si « les anglicans ont été les champions de la libération des esclaves chez nous, le Père Laval a été le champion de la réhabilitation des esclaves après l’abolition ».
Selon le recensement de 1851, neuf ans après l’arrivée du Père Laval à Maurice, sur une population d’affranchis (avec l’abolition de l’esclavage en 1835) et d’ex-apprentis (avec la fin de la période d’apprentissage en 1839) 48 330 se disaient de foi catholique, soit 88% de cette population. Jocelyn Chan Low, historien, indique que l’historiographie traditionnelle renvoie « à l’œuvre presque miraculeuse du Bienheureux Jacques Désiré Laval. » Mais l’historien note aussitôt que « la mission du Père Laval incomprise au départ par l’élite coloniale aura très vite son soutien. Dès 1843 le Cernéen mentionne en termes élogieux le travail du missionnaire ». Et la Sentinelle de Maurice d’écrire en 1851 : « On ne moralise pas un peuple en lui enseignant uniquement à se signer à chaque minute ; à défiler méthodiquement un chapelet ; à faire trois fois par jour le chemin de la croix et à chanter matin et soir des cantiques… on moralise quand on éclaire et non quand on abrutit l’intelligence… ».
Jocelyn Chan Low nous renvoie également à Didier Colson qui déclare que « l’œuvre essentiellement moralisatrice ne remettait nullement en question une société reposant sur une hiérarchie de couleur et de race ; (…) et l’Eglise catholique fut vite perçue comme une alliée pouvant aider à rétablir sur les ex-esclaves son autorité effritée par l’abolition de l’esclavage.» Alors que dans le même temps le missionnaire de l’église presbytérienne Jean Lebrun, fait ressortir Jocelyn Chan Low, soutenait « les revendications des gens de couleur contre le racisme et en faveur de l’égalité sociale ». Il fut même poursuivi, nous dit d’autre part Rivaltz Quenette, « pour avoir manifesté contre l’existence d’un mur séparant le cimetière des noirs du cimetière des blancs ».
Deux lectures s’affrontent au sujet de l’action du Père Laval en son temps. Mais le fait demeure que 150 ans après sa mort, le Père Laval ne laisse personne insensible et continue d’attirer des dizaines de milliers de Mauriciens à Ste. Croix.


Par JEAN CLÉMENT CANGY, Le Mauricien

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