9/09/2005

Relire notre histoire (suite et fin)

LES AUXILIAIRES LAÏCS

Recrutement

A l'arrivée du Père Laval à Maurice, presque aucun Noir n'est marié religieusement. Son premier objectif fut de régulariser les unions illégitimes et de constituer des familles chrétiennes. C'est donc vers les adultes qu'il oriente son apostolat. Cela explique que ses auxiliaires laïcs furent, en principe, des personnes mariées. Nous ne connaissons que quelques exceptions à cette règle : une veuve, un jeune homme estropié et deux ou trois femmes célibataires. Cela explique aussi la moyenne d'âge assez élevée de ces auxiliaires au moment de leur appel à l'apostolat : un peu plus de 34 ans.
Souvent, il n'est pas possible de savoir avec certitude qui, de l'homme ou de la femme, était catéchiste : Plus d'une fois, les documents font état d'une totale collaboration entre le mari et la femme qui, comme dans la chapelle de Montagne-Longue, président ensemble les réunions du soir. Seule exception à cet accord parfait, le ménage de J. M. Prosper : la femme, qui avait fait «quelques difficultés» au mariage religieux, n'est presque jamais marraine d'adultes.
Une grande originalité de la phalange des auxiliaires du Père Laval, c'est que les femmes - autant que nous pouvons en juger par les noms connus avec certitude - y seront les plus nombreuses. A Port-Louis, des femmes furent les premières auxiliaires du Père Laval. Dans les districts de Pamplemousses, de la Rivière-Noire, des Plaines-Wilhems et de la Savane, le catéchisme fut d'abord enseigné par des femmes.
A l'exception de trois femmes malgaches, tous les catéchistes étaient des créoles ; cela se comprend aisément : les créoles formaient près des quatre cinquièmes de la population des affranchis, ils étaient généralement plus instruits, et leur langue maternelle était comprise de tous.

Formation et vie spirituelle

Tous ne savaient pas lire. Chez ces Noirs analphabètes, qui ne se sont jamais assis sur un banc d'école, la mémoire est d'ordinaire très développée. «Ils ne savent ni lire ni écrire, remarque O'Dwyer, curé de Flacq, mais ils apprennent par cœur facilement : il y en a qui sont capables de réciter un nombre infini de prières et tout le catéchisme.»
Le Père Laval «n'a jamais eu d'instruction pour la formation spéciale de ses catéchistes» (Thévaux). Des contemporains ont bien parlé d'école de catéchistes, mais tous les catéchistes de Port-Louis et un grand nombre de ceux des quartiers ruraux n'ont connu d'autre salle d'école que le petit pavillon du presbytère et l'église Saint-Louis.
Aussi l'institution des catéchistes et des conseillères aurait été un échec sans «le soin extraordinaire que le missionnaire avait, dès le principe, apporté à la préparation des catéchumènes au baptême, au mariage et à l'Eucharistie», sans sa volonté de viser non le nombre mais la solidité.

Rôle

La mission essentielle du catéchiste est de décharger le missionnaire de la première instruction des catéchumènes. «L'affluence des Noirs qui venaient au Père Laval pour se convertir augmentant toujours, son temps et ses forces n'y suffisaient plus. Il nomma alors, dans chacun des quartiers de la ville, des personnes dont la charge était d'instruire ceux qu'il leur envoyait tant pour les préparer au baptême qu'à la réception des sacrements de pénitence, du mariage et de l'Eucharistie» (Thiersé).
Presque toujours le catéchiste exerce un métier; c'est donc dans la soirée, dans une pièce de sa maison spécialement aménagée qu'il reçoit les catéchumènes de son voisinage, hommes, femmes, jeunes gens et jeunes filles qui, eux aussi pour la plupart, viennent de terminer leur journée de travail. Les catéchistes reçoivent des gens envoyés par le Père Laval ou par la conseillère du quartier, d'autres sont leurs recrues personnelles ou sont venus spontanément. A noter aussi la présence dans leur auditoire de catéchumènes venus de la campagne pour se préparer au baptême et, plus souvent, au mariage.

Rétribution et considération

La plupart des catéchistes vivaient de leur métier et leur travail apostolique était entièrement bénévole. Quatre d'entre eux seulement, sans doute employés à plein temps, furent rétribués pendant au moins dix ans. En 1851, leurs salaires représentaient 1/3 des dépenses de la communauté spiritaine (cinq pères) pour la pension et la table, un domestique, l'entretien d'une mule et de trois ânes.
Tous les catéchistes jouissaient d'une grande considération que le Père Laval entretenait avec soin. Quand un conflit surgissait entre l'un d'entre eux et sa petite communauté de chrétiens et de catéchumènes, il annonçait sa visite, faisait prier, écoutait, interrogeait, expliquait et, faisant l'office non d'un juge mais d'un bon père, il rétablissait la paix au nom du Christ : «Maintenant, mes enfants, vous allez embrasser la croix de N.S.J.C. ; vous vous rappellerez que Notre-Seigneur aime la paix, la charité, qu'il ne veut ni rancune ni haine, qu'il a pardonné lui-même à ses bourreaux. Embrassez-Le donc et que tout ce qui s'est passé soit oublié à jamais» (Michel, p. 436).

A propos des catéchistes des campagnes

Plusieurs circonstances favorisent, vers 1846, l'institution de catéchistes dans les campagnes. «Rien n'est plus remarquable que le zèle de ces ex-apprentis qui descendent des quartiers les plus éloignés pour venir, le dimanche, assister aux instructions. A leur retour, un certain nombre d'entre eux se constituent catéchistes et, la semaine suivante, amènent au Père Laval de nouveaux catéchumènes» (Bonnefoy, 12-10-1846).
Enfin, de 1845 à 1850, des centaines de Noirs, qui vivaient à Port-Louis depuis leur émancipation, émigrent vers les districts où ils trouvent des terrains à bon compte ou même gratuitement. Or, il y a parmi eux des persévérants qui, d'eux-mêmes ou avec les encouragements du Père Laval, entreprennent la conversion de leur village d'adoption.
Sur le rôle et l'utilité des catéchistes dans les campagnes, le curé de paroisse rurale que fut l'abbé O'Dwyer a laissé ce témoignage : «Les catéchistes rendent des services immenses... Je suis persuadé qu'un prêtre aidé d'un corps de catéchistes bien organisé ferait plus de bien que deux prêtres sans catéchistes. Son peuple serait mieux instruit, les malades mieux soignés et les scandales plutôt arrêtés ; il y aurait beaucoup plus d'ordre et de régularité dans la paroisse.» Mais le Père Laval a aussi recours à d'autres auxiliaires que les catéchistes. Il a appris à ses chrétiens à ne pas se contenter de prier ; ils savent aussi se prendre en charge pour aider leurs frères dans le besoin.

LES TRESORIERS ET LES CONSEILLERS DE LA CAISSE DES PAUVRES

La forme la plus originale de leur générosité consiste en une Caisse de Charité en faveur des malades dans la misère et des pauvres, œuvre communautaire qui a vu le jour, en 1846, sur une initiative du P. Collin, un des missionnaires venu de La Réunion. Au début du mois, tous les responsables se réunissent avec le Père Laval.
Le trésorier rend compte de la situation de la Caisse ; les conseillers exposent les demandes de secours qui leur sont adressées et l'on décide en commun accord des prochaines distributions. Dans ce conseil, le rôle des femmes est capital car il y a souvent identité entre les conseillères du Trésor des Pauvres et ces conseillères qui consacrent leurs loisirs aux malades de leurs quartiers et qui connaissant toutes les familles, sont au courant de toutes les misères.

Etre solidaire du genre humain

La Caisse de charité n'accorde pas seulement des secours occasionnels ; elle prend en charge des pensionnaires, vieillards ou infirmes sans moyens de subsistance. D'un conseil à l'autre, le trésorier garde assez de liberté pour faire face aux urgences ; pour l'enterrement d'un pauvre, par exemple, il peut fournir un cercueil en bois blanc.

Les principes de la coresponsabilité

Les statuts précisent le rôle du Père Laval : «Le Père aura la surveillance générale ; il veillera avec le plus grand soin à ce que trésorier, conseillers et conseillères remplissent leurs fonctions. Jamais la caisse ne pourra être déposée entre ses mains. Il ne fera lui-même aucune aumône prise sur la caisse ; il renverra toujours aux conseillers et aux conseillères. Le premier dimanche, au cours de la messe, il rendra compte de ce qui aura été reçu et dépensé dans le mois.»

La discrétion dans l'action

Les activités de la Caisse de Charité sont entourées d'une grande discrétion. La presse n'y fera allusion qu'en 1850 ; dans le compte rendu d'une discussion du conseil municipal sur la Taxe des Pauvres, elle citera la remarque d'un ami du père Laval au sujet des missionnaires : «On ignore généralement qu'ils ont fondé une Caisse de bienfaisance à l'aide de laquelle plus de 300 piastres sont partagées mensuellement entre les pauvres.»

Responsabiliser la communauté

Cette œuvre est pour tous une école de solidarité ; elle dote la communauté d'une élite qui, assumant pour une part le rôle des diacres et des diaconesses des premiers siècles de l'ère chrétienne, libère les missionnaires pour des tâches proprement sacerdotales. La Caisse des pauvres exista ailleurs que dans la capitale; malheureusement, ses responsables sont généralement restés dans l'anonymat.

CONCLUSION

Le Père Laval meurt le 9 septembre 1864. La situation religieuse de l'île Maurice est méconnaissable. Les anciens esclaves, qu'il avait trouvés dans le plus total délaissement spirituel, forment une chrétienté fervente. Les Libres qui, pour des motifs à la fois sociologiques et politiques, tournaient leurs regards vers le protestantisme, ont rejoint le giron de l'Église qui les avait baptisés.
Quant aux Blancs qui, par leur voltairianisme et plus encore par leur libertinage, avaient été le principal obstacle à la conversion des Noirs, ils ont été eux-mêmes convertis, moins par l'éloquence d'un prédicateur que par l'étonnant changement de vie de leurs domestiques, voire de leurs maîtresses. Au témoignage de l'abbé Masuy qui, lui, a consacré tout son apostolat aux Blancs, le Père Laval «a été l'apôtre de tous les rangs, de toutes les classes : il a tout fécondé, tout relevé.»

Jimmy Harmon , La Vie Catholique, les 9/15 septembre 2005

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