Ils affluent. Des milliers d’anonymes venus de toutes les localités. Bravant la pluie fine parfois forte, le vent glacial qui vous perce les tempes. Avec la même ferveur, leurs pas les ont menés au tombeau du Bienheureux Père Laval. C’était hier soir à Sainte-Croix. Moments d’humanité.
«Ayo depi mo vini, mo senti tou mo douler finn ale.» L’histoire de Geeta Jhuree, est celle de nombreux pèlerins. Affligés de souffrances physiques et morales, ces hommes et femmes éprouvés dans leur chair, cherchent le réconfort dans l’effort.
Marcher. Que ce soit en voisin venu de Sainte Croix. Ou de Port-Louis où ils sont descendus après un long trajet en bus de Grand-Gaube, Mare-d’Australia ou Bel-Ombre. Toujours est-il que c’est dans les kilomètres qui s’enchaînent, dans la lutte contre les intempéries que les pèlerins tirent leur satisfaction.
Rester à la maison un 8 septembre ? Impensable pour Denise Fourneau. «Mo pou fatige, mo pou strese.» Qui a dit que le home sweet home c’était fait pour ne plus penser à rien. Comment? Ne pas penser à prendre son parapluie, son gros pull, ses gouttes pour les yeux, un fichu pour ses cheveux, le livre de prière et un paquet de biscuits Marie, «pou mo ti zanfan ki finn vinn ar moi kapav manze».
Malades, les pèlerins ont des égards pour le prêtre béatifié comme ceux que l’on a pour quelqu’un qui serait en mauvaise santé. Car à son chevet, ils font silence. Des panneaux placés bien en évidence font passer le message haut et fort. Le service d’ordre est lui aussi bien visible, qu’il soit volontaire ou policier.
Avec des gestes étudiées, on s’approche pour tendre sa bougie, son petit bouquet de fleurs au préposé qui se charge de mettre en contact ces objets avec le gisant du Père Laval.
Comme des cadeaux que l’on porte à un malade, ces objets ont une double portée : faire plaisir à celui qui «reçoit» et soulager celui qui offre. Lui donner la sensation d’avoir tout fait dans les normes.
La «norme» : surtout ne pas rater le pèlerinage. Aucune excuse n’est admise à part un cas de force majeure. Une visite au sanctuaire qui prend aussi des allures de délivrance. Comme celle vécue par Roselyne Lefort de Grand-Gaube.
Pendant 24 ans, sa vie a été celle de la mère d’une fille atteinte d’un handicap physique. «Mo pa ti kapav sorti ditou, ti bizin okip li». Et puis, voilà trois ans, la fille de Roselyne décède. C’est sûr, la peine est là. L’absence de l’être cher est là. Mais depuis trois ans, c’est aussi à un autre rythme que vit cette mère. Cela fait donc trois ans qu’elle a repris le chemin de Sainte Croix où elle n’était pas revenue depuis si longtemps.
Bougies et fleurs
Au fil des regards croisés en chemin, la ferveur a tous les visages. Celui de ces adolescentes de Sainte-Croix qui avec leur tante, marchent d’abord jusqu’à Terre-Rouge, pour revenir à pied au tombeau. C’est qu’à 16 ans, les permissions pour sortir sont dures à obtenir pour Davina, Tessa, Karine et Adasha.
Sorte de pendant : les enfants de chœur de Notre-Dame de Fatima. Ces jeunes hommes nageant dans des t-shirt de sport en nylon tiennent un peu gauchement, qui son bouquet de fleurs, qui sa demi-douzaine de bougies. S’ils ont déjà lorgné du côté des marchands de boulettes et de mines qui ont envahi les rues menant au tombeau ( transformant les lieux en sorte de grande kermesse), ces enfants de chœur se tiennent pour l’instant à carreau.
En plus d’être «la communion avec les chrétiens», le pèlerinage est aussi une occasion de se retrouver entre potes, le «fun» d’être en bande, de se taquiner, de se pousser du coude, de «get sa 35 la». Nulle obligation, c’est le «plan» qu’il ne faut pas rater. «J’étais en retard au rendez-vous et les autres n’étaient pas contents», confie Olivier Ami, meneur du ce groupe de Trou-aux-Biches.
Et puis, comme chaque année, il y a ceux qui ont traversé l’océan. Ces «pèlerins» arrivés là par curiosité. Parce qu’ils en ont entendu parler par des proches, des connaissances. C’est le cas de Pradeep Chatterjee. Cet Indien de Delhi, consultant pour le compte de la Road Development Authority (RDA) a entendu parler du pèlerinage par ses collègues de bureau. Alors, avec sa femme Bulbul, ils ont voulu en savoir plus sur ce déplacement de foule.
Père Laval, une vie un exemple
Chargé de l’apostolat des Noirs, le Père Jacques Désiré Laval (1803-1864) fut, pendant les 23 dernières années de sa vie, missionnaire à l’île Maurice. Il quitta Pinterville en Normandie le 23 février 1841, arriva à Londres le 14 mai et s’embarqua, les mains vides, sur le «Tanjore» le 4 juin 1841. Il ne reverrait plus l’Europe. Dès son arrivée il se met à l’apprentissage du créole, enseigne un catéchisme de base et repère parmi les affranchis, un petit groupe qu’il forme pour devenir ses aides. Il fit pour les esclaves, à midi une messe spéciale, du jamais vu à l’époque.
Ce fut considéré comme un acte héroïque. Le Père Laval eut beaucoup de peine à obtenir la permission de laisser entrer les «Noirs» à l’église. La mentalité de l’époque voulait que l’Eglise ne soit pas faite pour «ces» gens-là. Le missionnaire lui, leur rendait visite dans leur hutte, à l’hôpital et en prison. Il guérit physiquement et moralement un peuple de marginaux. Malade à la fin de sa vie et après avoir été frappé par des attaques d’apoplexie, il mourut le vendredi 9 septembre 1864.
Quand le dimanche suivant, à onze heures du matin, on ferma son cercueil, 20 000 personnes avaient défilé devant le corps. Quarante mille personnes l’escortèrent jusqu’à sa dernière demeure. Le Père Jacques-Désiré Laval fut béatifié par le pape Jean-Paul II le 29 avril 1979, en la basilique Saint-Pierre de Rome.
Aline GROËME, l'Express, samedi 8 septembre 2006
9/11/2006
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