Une photo de Marie à côté du dieu Ganesh. La photo du Père Laval côtoyant celle de Ram. Ce mélange du genre se voit très souvent dans les cabines d'autobus, plus particulièrement d'opérateurs privés. Des hindous ou tamouls au tombeau du Bx Père Laval. Que faut-il en penser ?
Dans le kalimaye de deux mètres carrés de la famille M, les divinités du panthéon hindou cohabitent avec les images pieuses des saints. Et dans la voiture familiale, saint Christophe partage une place de choix sur le tableau de bord.
Balraj ne voit aucune contradiction dans son attitude religieuse. «Mo prie tou, lance-t-il en guise d'explication. Mo kroir ki zot tou kapav beni mwa.» Des prières que la famille récite matin et soir.
«Mo prie tou»
Chez les A., famille marathie portlouisienne, il est de coutume, chaque année, de marquer certains événements du calendrier chrétien. Entre autres, la participation aux quarante heures et la prière au tombeau du Bx Père Laval, plusieurs jours après la commémoration de l'anniversaire de sa mort. Cette tradition perdure aujourd'hui parmi les enfants mariés, pères et mères de famille.
Ainsi, B., le benjamin des fils, la quarantaine aujourd'hui, fait année après année, le déplacement vers Sainte-Croix.
«J'aime bien le cadre ; il est reposant, propice à la prière et j'ai la conviction que mes prières sont entendues. Au fond, je pense que cette démarche me ramène aussi à l'enfance....» Décortiquer davantage sa démarche lui est difficile.
Un leadership qui marque
Pour le pandit Youdhisteer Munbodh, le «community leadership» des religieux de l'époque coloniale est pour beaucoup dans la démarche plurielle des hindous.
«J'ai fréquenté l'école catholique de Notre-Dame-du-Grand-Pouvoir. Les prêtres et religieuses Filles de Marie, des modèles, m'ont motivé à l'ouverture.»
Au point qu'aujourd'hui, le pandit Mundodh avoue avoir «adopté la pluralité, tout en gardant, avec conviction, son identité religieuse et culturelle hindoue.»
De plus, poursuit notre interlocuteur, «l'hindouisme est une religion tolérante, reposant sur des valeurs démocratiques telles que la liberté des religions et l'ouverture.»
L'école néo-hindouiste qui émerge fait que «sur une même plateforme, on peut trouver les valeurs chrétiennes, bouddhistes...» Une tolérance que notre interlocuteur remonte d'ailleurs «dans le Vasudev Kuttum Nakam, livre védique de l'Inde millénaire.»
L'utilisation de plus en plus répandue de la langue créole par les chrétiens est aussi une des raisons qu'avance le pandit Munbodh pour expliquer l'appropriation de certaines notions chrétiennes par les hindous.
«Le créole a définitivement facilité le passage et permis que des hindous se sentent à l'aise dans les rites chrétiens.»
Pour un plural mind-set
Aujourd'hui encore, cette influence chrétienne est toujours présente dans la vie du pandit Munbodh. Quand il passe devant une grotte, une chapelle ou une église, il ne manque pas silencieusement de réciter le Notre Père appris pendant l'enfance.
Ce «plural mind-set» est, de l'avis de notre interlocuteur, crucial dans un pays de diversité culturelle et religieuse comme le nôtre.
«Si nous voulons renforcer le nation-bui
lding, il ne faut pas avoir peur d'aller vers l'autre. C'est une démarche essentielle à faire pour la stabilité sociale, la paix et l'unité sociale.»
C'est d'ailleurs toujours avec un réel plaisir qu'il enfile kurta et dhoti pour aller prêcher, dans nos églises, l'ouverture et la tolérance.
Ce va-et-vient incessant d'une religion à une autre est le propre de la religion populaire, explique Danielle Palmyre-Florigny, docteur en théologie.
«La religion populaire ne connaît pas de frontière, de cloisonnement et échappe au cadre institutionnel avec ses dogmes définits et ses rites précis... On pourrait dire que le pilier de cette religion est le système de recours. A l'exemple du malade, celui qui pratique la religion populaire va essayer différents rituels, naviguer entre différentes religions, fréquenter la pagode, le traiteur, s'adresser aux divinités hindoues, aux saints chrétiens irrespectivement jusqu'à ce qu'il trouve une solution à ses problèmes.»
Père Laval : un «grand gourou»
Dans ce contexte, le Père Laval a une place particulière dans la religion populaire. Il est un «grand gourou avec des facultés surnaturelles qui émanent du divin», avoue le Pandit Mundodh.
Et Danielle Florigny d'ajouter : «Le Père Laval est aux yeux des Mauriciens un 'saint'. Il est médecin ; donc capable de guérir les blessures et maladies. Il a déjà fait des miracles. Son œuvre à Maurice en fait une figure locale qui attire au point que différentes communautés et religions se l'approprient sans difficulté.»
Peut-on donc parler de syncrétisme ? Une définition d'abord de ce terme d'aprés Théo, l'encyclopédie catholique qui en fait «est une combinaison plus ou moins artificielle et superficielle d'éléments appartenant à diverses doctrines religieuses, combinaison le plus souvent réalisée dans le désir de parvenir à une unification religieuse.»
Le syncrétisme est un terme forgé par les observateurs extérieurs et les autorités des religions instituées, explique Danielle Florigny. Mais si on se place sur le registre anthropologique, la personne est cohérente et logique dans sa démarche. Une démarche liée à l'affectivité, aux expériences qu'elle vit et à sa quête de remède, de solution à ses souffrances et à ses malheurs.
Danièle Babooram, La vie Catholique
9/08/2006
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