12/02/2008

Apôtre de toutes les classes

Entre 1841 et 1864, le 1er missionnaire de la Société du Saint-Cœur de Marie fondée par le P. Libermann transforme toute l’île Maurice par un long travail de régénération morale. Source de son action : une foi contagieuse.

Du pont du Tanjore, au soir du 13 septembre 1841, Jacques Laval, 38 ans, voit tous les pauvres de l’île Maurice auxquels il vient offrir sa vie.

Il meurt après 23 ans d’apostolat : 40 000 personnes le conduisent de la cathédrale à Sainte-Croix. Pour tous, il est le saint qui a su se trouver des auxiliaires, hommes et femmes à peine sortis de l’esclavage, avec lesquels il a merveilleusement transformé le paysage religieux de l’île.

En 1841, Maurice compte 140 000 hab. venus d’Europe, d’Afrique et de Madagascar, d’Inde, de Malaisie et de Chine. Catholiques, protestants, hindous, bouddhistes, musulmans cohabitent en 3 classes : les Blancs, les mulâtres et les esclaves et quelque 18 000 travailleurs indiens. Distinctions théoriquement abolies depuis que les Anglais ont émancipé les 47 000 derniers esclaves en 1839. Mais très vivantes dans les faits.Plus de 100 000 Mauriciens se disent alors catholiques : presque tous les Européens de souche française ainsi que l’immense majorité des hommes de couleur et des affranchis nés dans l’île. Mais peu vivent en chrétiens : moins d’1 baptisé sur 1 000 assiste à la messe.Né en Normandie en 1803, Jacques Laval est médecin durant 5 ans puis entre au séminaire Saint-Sulpice. Les pauvres sont sa vocation. Prêtre en 1838, il dessert Pinterville. En août 1840, Le Vavasseur et Tisserant, 2 séminaristes à Saint-Sulpice, lui parlent de l’Œuvre des Noirs. Il s’y intéresse. Mgr Collier, vicaire apostolique de l’île Maurice, propose à Le Vavasseur d’être l’évêque protecteur de l’œuvre naissante. Tisserant, prêtre, se présente. Quand M gr Collier lui conseille d’amener un compagnon, on pense à Laval. Tisserant sera retenu par l’archevêque de Paris. Laval s’embarque seul pour l’île Maurice. Sans noviciat ni préparation, il est le 1 er missionnaire de la Société du Saint-Cœur de Marie fondée par le P. Libermann.

Le P. Laval pensait devoir prêcher dans des campagnes immenses et inorganisées. Il voit vite cette méthode inadaptée face à Port-Louis où vivent 30 fois plus d’habitants et d’où le meilleur et le pire rayonnent sur l’ensemble du pays. Il y reste donc. Il contacte en 1er ceux qu’il voit chaque jour : les employés de l’église et du presbytère. Il s’assure facilement le concours d’Alphonse Lavoipierre, sacristain et secrétaire de la Fabrique, un jeune Blanc instruit, pieux et zélé. La plupart des autres employés, des affranchis, sont impressionnés par ce prêtre qui vient vers eux avec tant de respect et de cordialité. Leur confiance va être contagieuse.

Laval habite d’abord au presbytère. Les affranchis, si souvent repoussés, hésitent à y venir. Alors Laval fait construire un petit pavillon en bois dans la cour, avec un accès direct sur la rue. Le centre de la Mission des Noirs. Il s’en réserve le tiers pour sa chambre. Le reste, décoré d’images pieuses et meublé de bancs, sert de salle de catéchisme ouverte à tous ceux qui veulent lui parler, apprendre leurs prières, se préparer aux sacrements. De 9 h à 16 h, des Noirs y viennent un à un ou par petits groupes. À 19 h, la prière. Un catéchisme suit jusqu’à 21 h 30 ou 22 h. L’assistance augmente si rapidement qu’il faut passer du pavillon à la sacristie, puis à l’église même, d’abord sous les cloches puis dans la nef. En 1841, en plus du gin importé, 6 millions de litres de rhum ou d’arack se boivent annuellement à Maurice. Les cas de delirium tremens sont nombreux.

À Pinterville, Laval avait constaté que la formation religieuse donnée aux enfants était ruinée par les mauvais exemples des parents. « Faites de bons parents et vous aurez de bons enfants » sera sa ligne de conduite à Maurice.Un jeune homme estropié des 2 jambes marche sur les mains et les genoux. Laval le forme et, en avril 1843, l’établit catéchiste. Succès. Il choisit alors des hommes et des femmes qui, leur journée de travail terminée, enseignent bénévolement les catéchumènes de leur quartier à l’aide, quand ils savent lire, d’un petit catéchisme qu’il a rédigé en créole. À Port-Louis, il confie les malades et les vieillards aux conseillères les plus dévouées et les plus instruites.

Pendant 20 ans, Ma Céleste (Marie-Célestine Henry) secourt ainsi avec patience et bonté plusieurs milliers de malades. Fin 1844, les Noirs pratiquants sont passés de 20 à 3 000. Une grande fermentation naît dans la population. Laval s’est mis à l’école des affranchis, étudie leurs tournures de langage, leurs coutumes, écrit et retouche ses catéchismes avec le plus grand soin. Il a le don de transformer ses catéchumènes en apôtres. Il bénit les mariages le plus tôt qu’il le peut. C’est à la confession qu’il gagne les cœurs et forme les consciences.La régénération morale entreprise par le P. Laval porte ses fruits. Les réquisitoires des cours d’assises et les registres de la police signalent un décroissement sensible des crimes et délits. Les ex-apprentis ne boivent plus. Ils contribuent par leurs collectes au soulagement des pauvres et élèvent des chapelles à leurs propres frais dans les différents quartiers de l’île.

Le P. Laval étend son influence aux 3/4 de la population, Blancs et Noirs confondus. Les Sœurs du Bon Secours ouvrent une école et un hôpital dans les quartiers pauvres de Port-Louis, une école et une léproserie à Pamplemousses. Au plus fort d’une épidémie, 20 Blancs fondent à Port-Louis une Conférence de Saint-Vincent-de-Paul et modèlent leurs activités sur celles des Noirs qui, depuis des années, gèrent la Caisse des pauvres. Sur le conseil du Père Laval, ils ouvrent et soutiennent des écoles destinées aux enfants pauvres. Une orientation qui vaut à l’Église un grand rayonnement et marque le vrai départ de l’enseignement diocésain.Quand, à partir de 1846, le gouvernement britannique permet l’arrivée de confrères, aucun ne mettra en cause la pastorale de Laval. Dans les campagnes, il multiplie les chapelles. Fin 1847, 20 chapelles animées par un ou une catéchiste fonctionnent. 40, un an plus tard… Des petites communautés qui se développent les agrandissent ou les reconstruisent. Certaines deviennent des églises capables d’accueillir 2 000 fidèles.

Laval meurt le 9 septembre 1864. La situation religieuse de l’île Maurice est méconnaissable. Les anciens esclaves forment une chrétienté fervente. Les Libres ont rejoint le giron de l’Église qui les avait baptisés. Quant aux Blancs qui, par leur voltairianisme et leur libertinage, avaient été le principal obstacle à la conversion des Noirs, ils ont été eux-mêmes convertis, moins par l’éloquence d’un prédicateur que par l’étonnant changement de vie de leurs domestiques, voire de leurs maîtresses.Pour l’abbé Masuy, qui, ne s’est consacré qu’aux Blancs, le Père Laval « a été l’apôtre de tous les rangs, de toutes les classes : il a tout relevé ».

D’après Le Père Jacques Laval, le saint de l’île Maurice
Père Joseph Michel, éditions Beauchesne, Paris, 1988

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